Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : " Hé, Toi le Noir ! Hé, Toi le Rouge ! "
  • : Blog d'information non dogmatique, totalement subjectif, en maturation permanente et de tendances orientées.
  • Contact

Archives

/ / /

France     MAUVAISES INTENTIONS

                                                           La répression en France...

LE 19 JANVIER 2008,

 

Bruno et Ivan sont arrêtés par une patrouille de police alors qu’ils rentraient dans leur voiture. Un troisième qui les rejoignait, Damien, est arrêté à son tour. Accusés de “possession de 2,5 kilos de chlorate de potasse” et de “clous tordus”, ils sont mis en garde-à-vue 48 heures puis mis en examen pour “association de malfaiteurs”, “transport et détention, en bande organisée, de substance ou produit incendiaire ou explosif ” et “refus de se soumettre au prélèvement des empreintes digitales, ADN et photos”. Les deux premiers sont incarcérés à Fresnes et Villepinte, le troisième est placé sous con- trôle judiciaire. Début avril, le juge de Créteil est dessaisi de l’affaire au profit de l’anti-terrorisme, sous prétexte d’une «jonction supposée » avec l’arrestation de Vierzon.

 

Mi avril, les deux envoient une lettre depuis la prison expliquant leurs idées politiques, leur implication dans la lutte contre les centres de rétention etc. Ils précisent aussi que les clous tordus étaient des crèvepneus et que le chlorate était un fumigène artisanal. Après quatre mois de détention préventive, Bruno et Ivan sortent de prison. Ils sont placés sous contrôle judiciaire après un recours auprès de la chambre d’instruction, concernant le renouvellement du mandat de dépôt. Ce contrôle judiciaire signifie : éloignement pour certains de la ville où ils vivent, obligation d’informer la police des déplacements en dehors du département de résidence, pointage au commissariat ou à la gendarmerie toutes les semaines, obligation de chercher un travail, de se rendre au SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation, des flics de la réinsertion). Ce ne sont que quelques exemples d’injonctions qui s’ajoutent à la pression constante de la surveillance policière. Début juillet, Bruno se soustrait au contrôle judiciaire. Dans une lettre ouverte, il explique ses raisons pour cette décision.

 

LE 23 JANVIER 2008, Farid et Isa (pseudonymes) sont arrêtés lors d’un contrôle effectué par la police douanière à un péage d’autoroute. Accusés de “possession de deux kilos de chlorate de potassium” et de “documentation expliquant comment fabriquer des bombes”, ils sont maintenus en garde-à-vue pendant 96 heures, puis incarcérés à la prison de Fleury-Mérogis. L’enquête est confiée à la sous-division anti-terroriste. L’accusation est de “détention et transport d’un produit incendiaire et explosif ” et “association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”. De plus, Isa est accusée d’être l’auteur de la tentative d’attaque incendiaire du 2 mai 2007 contre une dépanneuse garée devant le commissariat de police du 18e arrondissement de Paris. La preuve policière serait des traces d’ADN provenant d’un cheveu retrouvé sur l’engin non explosé. Début avril, elle est transférée à la prison de Lille- Séquedin.

 

Début mars 2008, Farid est tabassé en prison par d’autres prisonniers qui ont suivi les rumeurs des matons le présentant comme un facho. Ensuite, il est transféré vers la prison de Meaux. En mai, Isa et Farid écrivent une lettre commune expliquant leurs idées politiques et leur engagement dans la lutte contre l’ordre dominant.

Début juin, Farid sort de prison et est placé sous contrôle judiciaire. Isa reste incarcérée à Lille, avec un mandat de dépôt d’un an.

 

LE 20 JUIN 2008, Juan (le frère d’Isa) est arrêté et incarcéré à la prison de Fresnes. Fin mai, les flics l’avaient déjà chopé en pleine rue pour lui prendre de force son ADN. Ensuite, il a été relâché parce que l’ADN ne correspondait pas. Entre temps, la brigade anti-terroriste a changé d’idée et a décidé que son ADN est le même qu’un de ceux retrouvés sur l’engin incendiaire devant le commissariat à Paris. Ils cherchent encore trois autres ADN masculins. EN PLUS DES ARRESTATIONS, la justice, la police et ses laquais de la presse ont augmenté la pression sur tous ceux qui participent au conflit social. Ils ont même inventé un acronyme : la MAF, mouvance anarcho-autonome francilienne [la grande région autour de Paris].

Le ministre de la Justice a demandé à toutes les instances judiciaires de signaler à la brigade anti-terroriste tout acte ou geste qui pourrait être en rapport avec ceux qui luttent contre l’Etat et le Capital.

 

EN OUTRE, l’Etat chasse aussi d’autres indésirables. Après les attaques contre la police en novembre 2007, où des dizaines de policiers ont été blessés par des armes à feu, la police a organisé une rafle massive à Villiers-le-Bel. Pour le moment, une dizaine de personnes restent enfermée dans le cadre de cette enquête. Deux personnes sont détenues et officiellement inculpées des incendies survenus dans le centre fermé de Vincennes fin juin. D’ailleurs, pour la révolte de novembre 2005 et les différents épisodes de lutte sociale (comme la grève et les sabotages à la société de chemins de fer français), l’Etat français a donné de nombreuses peines de prison à des dizaines de personnes et a infligé des milliers d’euros d’amendes ( tout comme il l’a fait à l’encontre des dockers-pêcheurs qui avaient mené des protestations violentes). En plus, des dizaines de personnes ont été arrêtées lors des manifestations devant des prisons et des centres fermés.

FINALEMENT, début juin, trois personnes ont été arrêtées administrativement pour des interrogatoires en relation avec l’attaque contre le chantier d’une nouvelle prison à Rennes. En février 2004, différentes machines avaient été détruites à l’aide de cocktails molotovs. La police prétend avoir reçu un tuyau disant qu’un des suspects avait été dans un village des environs la veille. Au moins une des personnes était active depuis un long moment dans la lutte contre la prison. Après les interrogatoires, ils ont été relâchés, sans accusations.

 

- Le 25 novembre 2007, trois personnes avaient été arrêtées à Toulouse, deux jours après une petite explosion dans un champ à Ginestous, sur dénonciation d’un voisin qui dit avoir relevé leur plaque d’immatriculation. Le 23 janvier 2008, ils sont en plus accusés d’être les auteurs de la tentative d’attaque du 8 novembre 2007 à Rennes contre le bâtiment de la direction régionale des douanes, commis avec une voiture volée incendiée contenant trois bonbonnes de gaz. Ils sont notamment incarcérés pour “détention d’engins explosifs”. La police spécule à travers les médias qu’ils avaient également des plans de vols à main armée et qu’ils seraient les auteurs d’autres attaques.

 

Lettre de Bruno et Ivan

depuis les prisons de Fresnes et de Villepinte

SALUT À TOUS LES COPAINS, à tous ceux qui ne sont pas résignés à la situation que nous vivons : occupation policière des rues, des villes, rafles, expulsions, arrestations, difficultés quotidiennes, dépossession de nos vies ; cette situation qui nous pousse à céder une part grandissante de nos vies aux chefs en tout genre, à ceux qui président à nos destinées, au pouvoir. Si nous prenons le parti de la révolte, c’est pour toutes ces raisons, pour retrouver le pouvoir sur nos vies, pour la liberté de vivre.

 

Nous avons été arrêtés le 19 janvier. Nous sommes deux en prison, le troisième est sous contrôle judiciaire (il passait par là et avait le tort de nous connaître). Nous avions en notre possession un fumigène que nous avions fait en mélangeant du chlorate de soude, du sucre et de la farine. Enflammé, ce mélange produit un fort dégagement de fumée. Nous projetions de l’utiliser à la fin de la manifestation qui allait ce jour-là devant le centre de rétention de Vincennes. Notre idée : se rendre visible auprès des sans-papiers enfermés, sachant que la police tenterait sûrement de nous empêcher d’approcher du centre. Nous avions aussi des pétards pour faire du bruit et des crèves-pneus (clous tordus) qui peuvent être disposés sur la route pour empêcher les voitures de passer.

 

Pour la police et la justice, le prétexte est tout trouvé, nous avions les éléments pour une bombe à clous. Voilà ce dont nous sommes accusés :

• «Transport et détention, en bande organisée, de substance ou produit incendiaire ou explosif d’éléments composant un engin incendiaire ou explosif pour préparer une destruction, dégradation ou atteinte aux personnes.»

• «Association de malfaiteurs en vue de commettre un crime de destruction volontaire par l’effet d’un incendie, d’une substance explosive ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes, commis en bande organisée.»

• «Refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales ou de photographies lors d’une vérification d’identité.»

• «Refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique par personne soupçonnée de crime ou délit.»

 

Ça fait froid dans le dos. Voilà pour les faits, nous allons tenter d’y apporter une réflexion.

Ce n’est évidemment pas au regard de ce que nous détenions ou de ce que nous projetions de faire que nous avons été traités de la sorte. L’Etat criminalise la révolte et tente d’étouffer toute dissidence “non-autorisée”. Ce sont nos idées et notre façon de lutter qui sont visées, en dehors des partis, des syndicats ou autres organisations. Face à cette colère que l’Etat ne parvient ni à gérer ni à récupérer, il isole et désigne l’ennemi intérieur. Les fichiers de police et des renseignements généraux construisent des “profils-types”. La figure utilisée dans notre cas est celle de “l’anarchoautonome”. Le pouvoir assimile cette figure à des terroristes, construisant une menace pour créer un consensus auprès de sa population, renforcer son contrôle et justifier la répression.

 

C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui en prison. C’est la solution choisie par l’Etat pour la gestion des illégalismes, des “populations à risque”. Aujourd’hui il faut enfermer plus pour plus longtemps. Les contrôles, toujours plus efficaces, et les sanctions qui font peur assurent à ceux qui détiennent ou profitent du pouvoir une société où chaque individu reste à sa place, sait qu’il ne peut pas franchir les lignes qu’on a tracées pour lui, qui l’entourent et le compriment, sans en payer le prix. Si nous luttons aux côtés de sans-papiers, c’est que nous savons que c’est la même police qui contrôle, le même patron qui exploite, les mêmes murs qui enferment. En allant à la manifestation, nous voulions crier en écho «Liberté» avec les prisonniers, montrer qu’on était nombreux à entendre la révolte qu’ils ont menée pendant plusieurs mois. Allumer un fumigène, tenter de s’approcher le plus possible des grilles de la prison, crier «fermeture des centres de rétention», avec la détermination de vouloir vivre libre. Cette lutte, dans laquelle on peut se reconnaître, est un terrain de complicités à construire, un lieu possible de l’expression de notre propre révolte.

 

Nous ne nous considérons pas comme des “victimes de la répression”. Il n’y a pas de juste répression, de juste enfermement. Il y a la répression et sa fonction de gestion, son rôle de maintien de l’ordre des choses: le pouvoir des possédants face aux dépossédés.

 

Quand tout le monde marche en ligne, il est plus facile de frapper ceux qui sortent du rang.

 

Nous espérons que nous sommes nombreux et nombreuses à vouloir posséder pleinement nos vies, à avoir cette rage au coeur pour construire et tisser les solidarités qui feront les révoltes.

 

Bruno et Ivan

avril 2008

 

 

 

Lettre de Isa et Farid

depuis les prisons de Lille-Sequedin et de Meaux

«Plus faible sera l’opposition, plus étroit sera le despotisme» Orwell, 1984

TOUT EST PARTI TRÈS VITE. Nous étions deux lorsque notre véhicule a été contrôlé par les douanes à Vierzon. La fouille a abouti à trouver dans un sac des manuels de sabotage et de fabrication d’explosifs, le plan de nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs, disponible sur internet, et une petite quantité de chlorate de sodium. Sans doute la réunion de ces éléments donnait au contenu un sens particulièrement subversif... D’autant que Farid était fiché par la police politique pour son militantisme anticarcéral et son combat auprès des sans-papiers et des mal-logés. Quant à Isa, elle n’était connue d’aucun service de police.

 

Immédiatement, la sous-direction antiterroriste de Paris s’est saisie de l’affaire. Les perquisitions n’ont en réalité rien donné si ce n’est qu’elles ont permis de mettre sous scellé des pétards, des tracts et des revues engagés, censés corroborer l’idée d’un projet terroriste. Ce que nous réfutons catégoriquement.

 

Peut-on dès lors accuser quelqu’un d’un crime qu’il n’a pas commis et qui n’a pas été commis, sur des simples suspicions reposant sur des documents qui ne prouvent rien en soi ? En réalité, c’est la dimension politique qui a conduit à la lecture d’une telle menace. Cela signifierait que la lutte, la révolte, est un crime dont tout manifestant en colère, dont tout homme libre et engagé est coupable... ?

 

Nous avons été placés sous un régime de garde à vue de 96 heures, avec la possibilité de rencontrer un avocat à l’issue seulement des 72 heures. Nos ADN ont été pris de force et celui d’Isa aurait été retrouvé le printemps dernier sur un “dispositif incendiaire” retrouvé devant le commissariat du 18ème arrondissement de Paris. Jusqu’à présent, l’enquête ramait. Isa a nié toute relation avec cette affaire. Par ailleurs, l’ADN est un outil fortement controversé : dans ce genre d’affaire, il est toujours utilisé pour accuser la personne mise en examen, et la pseudo-objectivité scientifique vient clore tout débat.

 

Tous deux n’appartenons à aucun groupe politique mais faisons partie de ces gens que vous avez sans doute croisé lors de manifestations, de rassemblements, de réunions publiques, de concerts de soutien, de projections de films, supports à débats... ; présents dans la lutte sociale et liés par le mouvement collectif.

 

Peut-être avez-vous entendu parler dans la presse des «anarcho-autonomes ». Lorsque le grondement et la rage de la rue s’expriment avec de plus en plus de détermination, l’Etat a besoin de dire, pour mieux diviser, que le mécontentement est noyauté et manipulé par des groupes radicaux, extrémistes, aveuglés, et fascinés par la violence ; d’où l’existence de ce genre de catégorie censée désigner une figure imaginaire dont il faut se méfier et qui représente la limite à ne pas franchir, la menace de l’illégalité, de la répression, de la criminalisation... En somme c’est une stratégie pour taire et effrayer tous ceux qui se lèvent pour des idées, contre l’oppression, pour la liberté... Nous avons ainsi été étiquetés, malgré nous... vague notion qui soudainement cacherait des groupes organisés pour le terrorisme, cherchant à nuire «par l’intimidation et la terreur». Nous sommes devenus une menace terrible pour l’Etat... Il faut diaboliser le visage du quidam pour être crédible, en déployant toute l’artillerie du langage !

 

Nous avons donc été écroués sous mandat de dépôt avec la mention «détenu particulièrement surveillé» ou «détenu à haut risque», ce dernier étant propre à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Autant dire que nous n’avions pas fini de réaliser les enjeux et les répercussions de cette paranoïa et hystérie du pouvoir. Nous sommes soumis à une surveillance intense. Ainsi, sans être jugés, sans être condamnés, nous sommes en proie à un acharnement politique qui s’efforce de fabriquer et de fantasmer au travers de nous, l’existence d’un réseau terroriste ultra dangereux. Maintenant que ce postulat est posé, tous les raccourcis sont possibles, toutes les interprétations doivent aller dans ce sens, tous les éléments sont traduits de sorte à ce qu’ils viennent le justifier. Tout cela est particulièrement inquiétant et délirant. En quatre mois de détention provisoire, nous avons eu le temps de sentir quelle était la logique de destruction, de vengeance et de punition de l’Etat vis-à-vis de ses sujets “insoumis” ; de subir son autoritarisme, notamment par des transferts entre maisons d’arrêt et des mesures d’éloignement arbitraires compromettant sévèrement la défense. Depuis peu, nous avons appris que le dossier de “Créteil” avait été joint au nôtre, histoire de rassembler les «anarcho-autonomes»...

 

Nous ne voulons pas être les pantins des enjeux du pouvoir d’institutions politiques et répressives : ne laissons pas l’Etat écraser les espaces de lutte...

 

Isa* et Farid*

mai 2008

* surnoms

 

 

Extraits de «  La Cavale » N°13 Juillet 2008  La suite et fin ->

 

Partager cette page
Repost0